Bibliothécaire bénévole et enseignant, c’est possible. Syré N’diaye

lundi 24 décembre 2018
par  LEA
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A Malem Hodar, commune et siège de département dans la région de Kaffrine, la bibliothèque Lire en Afrique a été lancée à l’initiative de Syré Ndiaye en 2007. Aujourd’hui adjudant de police, il se souvient avec émotion de cette aventure : faire exister une bibliothèque vivante en milieu rural, un espace qui compte dans la vie des lecteurs et lectrices où se rencontrent toutes les couches de la population,

Syre Ndiaye

Je suis un passionné de lecture.

A Joal où j’habitais, dès la classe de 6° j’ai commencé la lecture au CLAC de Joal [1]. J’ai été l’un des premiers inscrits à cette bibliothèque. J’ai commencé par lire les BD, la série des Tintin, que j’avais vus en films. Je lisais un peu tout, tout ce qui me passait par les mains.

Une bibliothèque à Malem Hodar, c’était plus qu’un rêve pour moi

Le contact avec Lire en Afrique a été établi par l’intermédiaire du bibliothécaire du CLAC, Paul N’diaye. C’était pendant les vacances de Noël, en 2006. Je passe au CLAC et Paul m’accueille avec : « ça fait longtemps ! », je lui répond « oui, je suis affecté, comme professeur de français, très loin, au collège de Malem Hodar. Le niveau des élèves est très bas, mais malheureusement, il n’y a pas de bibliothèque là bas ! », et Paul me propose « j’ai des amies, elles sont ici en ce moment, elles s‘activent dans ce domaine, je pourrais te mettre en contact ».

C’était plus qu’un rêve pour moi.

C’est comme ça que j’ai rencontré Eliane. Elle était à Joal, au Collège de la Petite Cote, noyée dans des milliers de livres. On a discuté des livres, de la possibilité d’avoir une bibliothèque, des conditions à remplir, des démarches à engager sur place. Je devais trouver un local qui convienne, des rayonnages, tables et chaises et une équipe qui s’engage à gérer la bibliothèque.

Les gens de Malem ont porté le projet de bibliothèque

A Malem Hodar, il y avait un local fermé à clef depuis des années. Il avait été construit dans le cadre d’un projet d’alphabétisation des femmes, mais n’avait jamais été utilisé. J’ai réuni les parents d’élèves pour leur présenter le projet de bibliothèque et nous sommes allés voir l’inspecteur d’académie. Dans le local, il avait déjà quelques étagères, mais il fallait en trouver d’autres pour accueillir les 2000 livres promis.

J’ai prévenu Eliane. Elle est venue en visite, avec Paul. On a tenu une réunion, la salle était pleine. C’est vous qui m’aviez soufflé l’idée de tenir une réunion pour préciser les objectifs de la bibliothèque, avec des collections destinées à tous, en précisant les modalités de gestion qui ne pourrait qu’être bénévole.

Les gens ont porté le projet, je me souviens de l’un d’entre eux, Ibou Laye Ka, il n’avait jamais fait les bancs, mais était le plus actif dans le soutient à la bibliothèque. C’est lui qui a dit « Si on doit recevoir des invités, il faut leur préparer un repas, un bon thiéboudiène, il est allé acheter du poisson à Kaolack. Il est mort il y a quelques années, à la Mecque, pris dans la bousculade. Vraiment, je lui rends hommage."

Pour conserver le local de 2007 à aujourd’hui, il a fallu se battre

Quand Malem Hodar a été érigé en chef lieu de département, la salle a fait l’objet de grandes convoitises. On a du déménager dans une autre salle, dans l’ancien siège de la communauté rurale, où elle est toujours aujourd’hui, mais il a encore fallu se battre en 2016 pour la conserver, des administrations d’Etat voulant s’y installer.

Pour le fonctionnement de la bibliothèque, on a établi un règlement intérieur. L’accès aux livres est presque gratuit, l’inscription de 200 FCFA par an, est à la portée de tout le monde. Les prêts sont autorisés pour une semaine. Les livres rares, sont réservés à la lecture sur place.

Quand nous recevions de nouvelles dotations de livres, nous passions faire une exposition de ces livres dans les écoles. Au CEM, nous sortions des tables, et, à la récréation, les livres étaient bien exposés. La semaine suivante, on constatait de nouvelles inscriptions à la bibliothèque.

Je proposais aux meilleurs lecteurs de s’intégrer à l’équipe de gestion

Au début, c’est moi qui gérait la bibliothèque.
Etant sur place, j’avais la capacité de déceler les jeunes passionnés, les jeunes qui empruntent beaucoup de livres et qui ne quittent plus la bibliothèque. Je leur proposais de s’intégrer à l’équipe de gestion, ils pouvaient même disposer d’une clef, tous petits, dès la 6°.

Nous nous sommes structurés en 3 équipes pour ouvrir le mercredi, le samedi et le dimanche matin, jour de marché hebdomadaire. Ce jour-là, les élèves des villages environnants venaient au marché et passaient à la bibliothèque emprunter des livres.
A la bibliothèque, le samedi, souvent, nous organisions des concours de scrabble en buvant du thé. Les lauréats recevaient un stylo « Lire en Afrique ». Un enseignant de l’élémentaire gagnait souvent. Il s’est perfectionné avec les livres de la bibliothèque et est retourné à l’université.

Pour moi, la liberté donnée aux lecteurs et lectrices de choisir leurs œuvres sans restriction est primordiale. A la bibliothèque, on accordait une certaine liberté, les jeunes ont besoin de cette liberté. J’ai vu un jeune lire toute la collection Harry Potter. Moi qui ai commencé par lire des séries, je le comprenais bien. Une enseignante lisait les romans de la série Adoras, elle les a tous lu et m’en réclamait d’autres.

La bibliothèque, c’est pour dépoussiérer les esprits

Les jeunes me trouvaient parfois à la bibliothèque en train de dépoussiérer livres. Je leur disais "c’est pour mieux dépoussiérer vos esprits". A la bibliothèque, ils découvraient un autre monsieur N’diaye qui n’était plus l’enseignant, mais celui qui a la passion des livres.

Mes jours de repos, c’est-à-dire, les mercredi, samedi et dimanche, je les consacrais à la bibliothèque. Ce fut une bonne expérience pour moi, former les jeunes à la citoyenneté, voire des jeunes donner de leurs heures de liberté pour une action. Vraiment, je ne regrette pas, cela a permis de former des citoyens aptes à gérer le bien commun. Lire en Afrique a permis cela.

Malem Hodar, la bibliothèque est dans l'emprise de l'Hotel de ville Bibliothèque de Malem Hodar, visite de Lire en Afrique en 2013
Syré Ndiaye, bibliothèque de Malem Hodar en 2013 Eliane Lallement et Syré Ndiaye à Malem Hodar en 2010
La bibliothèque de Malem Hodar reçoit une complément de dotation en 2013 Bibliothèque de Malem Hodard, exposition des livres reçus

La bibliothèque a beaucoup compté dans la vie des lecteurs.

Que sont devenus aujourd’hui les jeunes responsables de cette bibliothèque ? Le plus jeune, Bara Ndao a publié un recueil de poèmes : « la mémoire du Diable ». Depuis, il est invité partout, à la télévision, à la radio. C’est sans doute le plus jeune écrivain sénégalais.

La bibliothèque a permis aussi de créer un lieu d’échange entre grands et petits, la femme du préfet qui ne sortait presque jamais, que personne n’avait jamais vue, passait à la bibliothèque et y rencontrait les jeunes du village. La bibliothèque a ainsi permis de créer des liens, au-delà des liens créés par les livres.

La bibliothèque c’est aussi l’apprentissage de la responsabilité. Par exemple confier une clef à un enfant de 12 ans, lui laisser prêter les livres en entretenant bien les registres, c’est une vraie responsabilité.

En termes de carrière professionnelle, je me souviens de l’étonnement de l’inspecteur Diedhiou, qui, un jour, a trouvé un livre de sociologie à la bibliothèque, en rapport avec la thèse de sociologie qu’il était en train d’écrire, il ne pensait pas trouver un tel livre dans une bibliothèque de brousse.

Il y a beaucoup de gens de Malem Hodar qui ont préparé des concours administratifs et ont été reçus. J’en suis moi-même un exemple parfait. J’étais sur place et je disposais de toute la documentation pour préparer les concours de la fonction publique, en particulier les ouvrages de culture générale. J’étais enseignant depuis 6 ans et j’ai passé le concours d’adjudant de police. C’est avec beaucoup d’aisance que j’y suis allé. A l’époque, en 2013, ce concours de niveau bac, était très sélectif ; sur 6000 candidats, 25 étaient recrutés (10 femmes et 15 hommes).
Après 6 ans dans la police, je pense maintenant à préparer le concours de l’ENA, pour faire une carrière de diplomate.

Les enseignants qui étaient dans le secteur pourraient aussi en témoigner. L’un d’eux, enseignant à l’école élémentaire, est retourné à l’université et a décroché sa maîtrise. Il est maintenant de retour à Malem Hodar comme professeur d’anglais, au lycée.

La bibliothèque a beaucoup compté dans la vie des lecteurs.

Les bibliothèques sont nécessaires, si on attend l’investissement de l’état, il n’y aura jamais de livres.


[1Centres de lecture et d’animation culturelle comportant une bibliothèque. Ces centres ont été crées par la francophonie. Il y en a 213 dans 18 pays, dont 16 au Sénégal .


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