Gérer une bibliothèque, facteur de développement personnel et collectif

vendredi 16 décembre 2022
par  LEA

Contribution de Alioune Gueye, bibliothécaire à la BOSY (YOFF), lors de la rencontre des 20 ans de Lire en Afrique en 2010.

Alioune Gueye a d’abord fréquenté la BOSY, Bibliothèque Ousmane Sembene comme lecteur, puis il en est devenu l’un des bibliothécaires.
Par la suite, il fut, jusqu’en 2013, un compagnon actif de Lire en Afrique.

« Nous nous sommes alors inscrits à la bibliothèque, et la première chose que nous y avons apprise, c’est que le livre est un bien commun, ça n’est pas un bien personnel »

Alioune Gueye lors de son intervention en 2010 - les 20 ans de Lire en Afrique

Je vais parler de mon vécu personnel sous l’aspect de la fréquentation des bibliothèques. Je vais commencer par une petite anecdote. En 90/91, j’étais alors 6°, la bibliothèque Ousmane Sembene de Yoff n’existait pas encore. Mes camarades et moi, nous fréquentions la bibliothèque de l’école Yoff 3, installée à cette époque par Marie Josèphe et Éliane. Nous ne faisions pas partie de l’établissement, mais nous y venions et nous prenions les livres, tout simplement. Je me souviens de la collection « J’aime Lire » par exemple. C’était facile, le plus souvent, il n’y avait personne pour surveiller. Nous prenions les livres, et les gardions, les considérant comme notre bien propre, jusqu’à constituer, chacun, une véritable collection personnelle. Je me souviens de Sergine Gueye Diagne, actuellement en Espagne, Souleymane Mbengue, Babacar N’doye, pas mal de jeunes.

Un jour, un de nos camarades, le frère de Mamadou N’doye, nous a parlé de la BOSY (Bibliothèque Ousmane Sembene de Yoff), Il en était adhérent et détenait une carte de membre portant le numéro 274.
En franchissant pour la première fois les portes de la bibliothèque, mon étonnement fut grand. Alors qu’elle venait d’ouvrir, elle comptait déjà plus de 200 adhérents, et nous, qui étions féru de lecture, n’étions même pas au courant de son existence. Nous nous sommes alors inscrits à la bibliothèque, avons acheté une carte de membre, comme tout le monde, et la première chose que nous y avons apprise, c’est que le livre est un bien commun, ça n’est pas un bien personnel. Personne ne nous a pris par la main pour nous l’enseigner, mais Alassane, le responsable de la bibliothèque, et ses camarades, avaient installé une signalétique pour nous inviter à ne pas piller les livres, ne pas les corner, les rendre à temps, c’est-à-dire après une ou deux semaines selon le type d’ouvrage, nous montrant ainsi que le livre est un bien communautaire. C’est comme ça que nous avons compris que la bibliothèque n’est pas n’importe quel endroit.

Ce fut une vraie prise de conscience pour moi. J’ai regretté ce que j’avais fait, et rendu les livres que j’avais encore par devers moi à la maison. Et puis j’ai demandé à intégrer la BOSY.

A ma grande surprise, Alassane Faye, le responsable, nous a dit que c’était à nous de gérer nous-même la bibliothèque. Je me souviens très bien de cette époque-là, c’était en 1994, j’étais en classe de 3°, je faisais partie de l’équipe qui animait la permanence du dimanche, puis j’en suis devenu le responsable. A la fin de la permanence, nous faisions le point et les comptes avant de fermer la bibliothèque : nombre d’adhérents qui sont venus, nombre de livres prêtés, rendus, non rendus.

« C’est la bibliothèque qui m’a permis de forger mon caractère. »

C’est la bibliothèque qui m’a permis de forger mon caractère. L’une des choses qu’on nous fait comprendre à la bibliothèque, c’est le culte de l’excellence. Je ne voulais pas être dernier, et je devais tout faire pour être parmi les premiers. Bien sûr, tout le monde veut être premier. Mais ce qui compte, c’est une saine concurrence, non pas une concurrence déloyale, mais une concurrence qui permet à tout un chacun d’être meilleur, et je crois que ça, nous l’avons réussi.

Si je l’affirme c’est que je peux en témoigner. En 1999, à l’occasion du séminaire annuel Lire en Afrique, chaque bibliothèque du réseau Lire en Afrique devait présenter son bilan d’activité, face aux autres bibliothèques présentes. Ça se passait à l’UPIS, en face de l’Université de Dakar. En arrivant au séminaire, Alassane Faye me dit « c’est toi qui vas présenter le bilan », sans préparation, rien du tout, « et si tu ne le fais pas, Yoff ne va pas être représenté ». Je devais donc assurer, coûte que coûte, la présentation du bilan de la BOSY. C’était la première fois que je prenais la parole en public. Bien sûr, au début, j’ai paniqué, mais à la fin, tout le monde a applaudi et dit que j’avais bien présenté. Pour affronter ceux qui étaient en face de moi, j’ai pensé « je dois leur parler. Et pour qu’ils comprennent mon message, je dois être clair et précis ». La confiance en soi, je peux dire que c’est à partir de ce moment-là que je l’ai gagnée. Ce jour là, je ne l’oublierai jamais. Récemment, je disais à Ass, un collègue d’Alassane Faye, vous avez pleinement participé à notre formation. En effet, ils nous aidaient à préparer les rapports et nous incitaient à prendre les procès-verbaux des réunions, même les plus banales. C’est ainsi que j’ai appris dés la 4°à rédiger un P.V., faire un rapport, avant même d’avoir le bac. Aujourd’hui encore, n’importe quel gamin de la BOSY peut vous faire un bon rapport, un bon PV de réunion, un bon résumé.

C’est vrai, j’ai mal commencé en piquant des livres. Mais on m’a fait comprendre que les livres sont un bien communautaire, et, ce faisant, on m’a éduqué. On m’a éduqué sans me frapper, sans me parler, parce que je l’ai lu et je dis que c’est très, très formateur. Chacun d’entre nous a ainsi voulu bien faire et ne jamais rien faire de répréhensible. La bibliothèque m’a beaucoup, beaucoup appris parce que c’est un milieu de socialisation. C’est primordial. Je remercie l’équipe qui nous a intégrés. La bibliothèque l’après-midi, c’est un cadre enchanteur. Quand ça ne va pas bien, que tu es stressé, que tu as mal, tu y seras soigné et tu en repartiras guéri.

Revenons à la prise de parole. Depuis ce jour de 1998, je n’hésite plus à prendre la parole en public, pourtant il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas le faire. Il existe des séminaires, souvent très chers, pour apprendre à parler en public, or là, tu ne payes rien et tu apprends à le faire.

A la BOSY, nous avons souvent été sollicités pour organiser des conférences sur des romans du programme. Alassane Faye a toujours demandé aux étudiants, aux élèves de présenter eux-mêmes leurs exposés. C’est très formateur, ça fait partie, pour moi, du développement personnel.

« Derrière chaque élite, chaque personne considérée comme un génie on trouve une bibliothèque, à coup sûr. »

La bibliothèque créée un accès à la culture, un accès au savoir. Derrière chaque élite, chaque personne considérée comme un génie, en fouillant un peu, on trouve une bibliothèque, à coup sûr. Au Prytanée Militaire, par exemple, qui affiche les meilleurs résultats du Sénégal, les miliaires ne sont pas que dans les cours, ils vont à la bibliothèque. Voilà leur secret. Ça n’est rien d’autre. Le meilleur qui est donné en classe, c’est pour tout le monde, mais le plus, il faut aller le chercher dans les livres. Et ce plus, c’est à la bibliothèque qu’on le trouve.

On n’a jamais essayé de dresser des statistiques pour évaluer la moyenne des notes des lecteurs qui fréquentent la bibliothèque. Il n’est pas bien vu de dire j’ai telle, telle note. Mais si on acceptait de montrer les résultats scolaires, vous tomberiez des nues parce qu’ il n’y a que de la bonne graine parmi les lecteurs.
Dans une équipe de 10, l’un est bon en français, l’autre en maths, le troisième en anglais etc. Le mercredi avant de quitter la bibliothèque, on a toujours essayé de rédiger nos exercices avant de rentrer à la maison. En cas de problème, il y avait toujours quelqu’un pour aider. Je parlais de socialisation, j’ajouterai aussi l’entraide. Elle existe entre bibliothécaire. Tu rends service à la communauté, mais la communauté te le rend bien, car il y toujours là, à côté, un ami qui va t’aider si tu as un problème dans telle ou telle matière.

« La bibliothèque est un cadre où naissent beaucoup d’initiatives »

Moussa Djitté, bibliothécaire à la bibliothèque de Mecke, l’a dit, la bibliothèque est un cadre où naissent beaucoup d’initiatives. A Yoff, à la BOSY, la plus marquante est la parution d’un journal pendant presque 10 ans dont j’étais moi-même simple rédacteur apprenti, jusqu’à devenir ensuite rédacteur en chef, pendant 3 ans. C’était une initiative de la BOSY, partagée par la communauté et par la mairie. Ce projet s’est arrêté parce que, à un moment donné, il dépassait tout simplement nos capacités. Le dernier format était un tabloïd alors que nous avions commencé par des photocopies. La bibliothèque est un terrain propice aux initiatives mais c’est aussi un point de relais communautaire. Quand vous avez besoin d’une personne, d’un profil, vous ne le chercherez nulle part ailleurs qu’à la BOSY, et ça, la mairie le sait, tout le monde le sait. La bibliothèque est un creuset, un laboratoire vraiment fécond où on trouve tout ce qu’on veut.

« En tant que bibliothécaire vous avez une aura, une autorité, tout le monde, dans le village, vous connaît »

En tant que bibliothécaire vous avez une aura, une autorité, tout le monde, dans le village, vous connaît. Par exemple à Bargny, tout le monde connaît Laye Ciss, à Sébikotane, tout le monde connaît Babacar Diouf. Chaque fois que quelqu’un veut faire quelque chose, on lui dit va voir Babacar, va voir tel, tel ou tel parce que ce sont des gens qui sont là pour la communauté. C’est une forme de reconnaissance de la part de la communauté. Parfois, ils viennent vous consulter sur des questions importantes, par rapport à l’éducation, à la jeunesse, aux loisirs, alors que vous êtes encore très jeune. Nous représentons quelque chose comme des conseillers municipaux sans le savoir. Aujourd’hui, avec la décentralisation, l’information est recherchée à la base et la base, c’est nous, bibliothécaires de Lire en Afrique. On engrange toutes ces expériences sans le savoir.

En 2003, 2004, Lire en Afrique a organisé à Ouakam, une formation sur l’animation jeunesse en bibliothèque, avec Marie Girot. Madame la directrice du livre, Marietou Diong Diop est venue à la fin de la formation et a assisté au dernier exercice du stage. Chaque stagiaire devait faire une présentation pour montrer ce qu’il avait acquis durant la formation. Cette formation avait lieu les 4 et 5 avril, c’est-à-dire à une date proche de la journée mondiale du livre. A cette occasion la direction du livre organise, chaque année, des récitals de poèmes, de lecture d’album, dans les hôpitaux, les milieux défavorisés. Quand Marietou Diong Diop nous a vu, elle a été émerveillée, et a demandé que les bibliothécaires Lire en Afrique soient intégrés à cette opération. La première année, on nous a disséminés dans les hôpitaux, moi, j’étais à Le Dantec. A la fin de l’opération, l’évaluation a montré que les meilleures présentations avaient été réalisées par des bibliothécaires de Lire en Afrique, je dis bien, les meilleures présentations. L’année suivante qu’ont-ils fait ? Au moment de l’événement, ils nous ont tous appelés, moi et d’autres pour dire que la Direction souhaitait reconduire l’expérience de l’année dernière. Je devais, avec Alassane Faye, leur communiquer des noms après avoir consulté l’association à Paris bien sûr. On s’est alors rendu compte que les bibliothécaires de Lire en Afrique étaient répartis, dans les hôpitaux les plus huppés, si je puis dire, comme Albert Royer, Principal … parce que c’est là que les autorités devaient venir et donc, il ne fallait pas mettre n’importe qui. Ce sont les bibliothécaires de Lire en Afrique qui ont assuré et ont réussi.