La BOSY, cétait la belle époque !

mercredi 20 décembre 2023
par  LEA

Aissatou Gueye, aujourd’hui bibliothécaire professionnelle, se souvient avec nostalgie de ses premiers contacts avec les livres, puis son implication à la BOSY (Bibliothèque Ousmane Sembene de Yoff) où, dés l’âge de 11 ans, elle s’est investie comme bibliothécaire.

Avec l’objectif de mieux comprendre l’accès de la jeunesse à la lecture au Sénégal, Haruse Murata, chercheuse japonaise en littérature africaine pour la jeunesse, a accompagné Lire en Afrique pendant une dizaine de jours en décembre 2023. C’est à cette occasion qu’elle a pu s’entretenir avec Aissatou Gueye.
Nous reproduisons ici cet entretien qui vient compléter un entretien antérieur déjà publié sur ce site. https://lireenafrique.org/spip.php?article94

Qu’est ce qui m’a donné l’amour du livre ?

Quand j’étais en classe de CI, à la première composition, j’étais 6ième de la classe, mais le maitre a noté sur mon bulletin, "elle est 6°, mais elle peut beaucoup mieux faire". J’ai amené mon bulletin à la maison. Quand papa l’a regardé, il m’a dit la même chose, mais il ne m’a pas frappée. Il était un peu fâché, il a tapé sur la table. J’ai eu tellement peur que je me suis dit qu’à la prochaine composition, je devais être première. Effectivement, à la deuxième composition, je suis arrivée première de ma classe.
En fin d’année, le directeur nous donnait des prix, et le prix que j’ai obtenu c’était un livre. Je ne me rappelle plus exactement du titre, il parlait d’un chat et d’une souris. C’est une histoire que j’aimais tellement que je l’ai lue et relue et relue, plusieurs fois à la suite, je ne sais pas combien de fois.
Tout a commencé par ce premier livre là que j’ai obtenu en classe de CI (7 ans). C’est à partir de ça que j’ai eu l’amour de la lecture.

Avec la découverte de la bibliothèque, je suis passée d’un livre à des centaines de livres

A l’époque, on habitait à Tambacounda, puis nous sommes venus à Yoff quand j’étais en classe de CE1 (8ou 9 ans) ? En découvrant la bibliothèque, je suis passée d’un livre à des centaines de livres.

Mon grand frère, en classe de terminales, était abonné à la BOSY, Bibliothèque Ousmane Sembene de Yoff. Il en était adhérent et avait sa carte d’adhésion. L’abonnement n’était pas cher. Il allait régulièrement à la bibliothèque pour prendre des livres afin de réviser. A chaque fois qu’il y allait, Je lui demandais de prendre un livre pour moi. Il en prenait un pour lui et un pour moi. Le prêt était limité à deux livres. Je l’accompagnais.

Pour emprunter un livre, il faut être muni d’une carte. Je n’avais pas encore de carte. Le responsable de la bibliothèque de l’époque, Alassane Faye, a remarqué que je venais régulièrement, il m’a dit « est-ce que ça t’intéresse de devenir bibliothécaire ? ». Je lui ai répondu, « comment est-ce qu’une petite fille peut être bibliothécaire ? ». J’avais 10 ou 11 ans. Il m’a expliqué « tu vas essayer avec la première tâche que je vais te donner, les livres restitués sont là et je vais te montrer les rayons où les ranger. Les adhérents viennent rendre les livres, puis, à la descente, on ferme la bibliothèque et on fait le dispatching. Par exemple, ces livres là, c’est pour la jeunesse donc tu les reclasses dans les rayonnage jeunesse. Ceux-ci traitent d’histoire et de géographie, ils se rangent là-bas ». Au fur et à mesure, il m’a montré le classement, puis la gestion des prêts. Les adhérents avaient le droit d’emprunter deux livres à rendre au plus tard dans les 15 jours suivants, délai réduit à 1 semaine pour les manuels. On était une équipe, au fur et à mesure, il m’a appris le travail de la bibliothèque.

Bibliothèque et réussite scolaire

Alassane tenait beaucoup à ce que nous, les élèves qui fréquentions la bibliothèque, nous nous investissions à la bibliothèque. Et la bibliothèque, en retour, nous aidait beaucoup dans nos études. Il voulait que nous soyons de très bonnes élèves dans nos classes respectives.
J’étais vraiment une très bonne élève. Chaque année, la bibliothèque organisait des journées culturelles et de multiples activités pour les élèves avec des concours par matière. A chaque fois, je gagnais deux ou trois prix, en dictée, en mathématiques. J’étais tout le temps sur le podium.
On peut dire que, nous qui gérions la bibliothèque, on a tous réussi. Beaucoup sont à l’étranger, même dans des organismes internationaux. L’un, Sembene, est à la banque mondiale, il a même ouvert une bibliothèque à Rufisque. De notre équipe de mini-bibliothécaires, Marietou est devenue sage-femme, à l’hôpital de Ouakam. Ramatoulaye, je l’ai perdue de vue.

Le culte du savoir, un héritage familial

Je suis issue d’une famille d’intellectuels, on nous encourage dans l’éducation. Dans d’autres familles les filles doivent se consacrer aux travaux ménagers. Ma mère est professeure d’anglais, mon père est un cadre de l’armée sénégalaise. Dans ma famille, il y a beaucoup d’enseignants et on a le culte du savoir. D’ailleurs mes 4 frères fréquentaient la bibliothèque, ainsi que ma nièce qui est maintenant sage-femme à Tambacounda, et tous les enfants de la famille qui étaient scolarisés. Pour les tâches ménagères, la bonne qui s’en chargeait. Nous on ne s’en occupait que le week-end, parce qu’il faut apprendre à cuisiner, mais seulement de temps en temps et pendant les vacances. Papa avait sa bibliothèque et maman aussi, une petite bibliothèque. C’est comme si, quand j’ai ouvert les yeux, la première chose que j’ai reconnue, ce sont les livres. Les livres, c’est mon milieu naturel.

A La bibliothèque, les plus grands encadrent les plus petits

A la Bosy, se retrouvaient beaucoup d’autres associations comme celle "des étudiants et élèves de Yoff" qui avait les mêmes membres que la bibliothèque. Quand j’ai grandi, j’ai donné des cours de maths aux élèves de classe de 6°. Je donnais aussi des cours de vacances en mathématiques. J’ai même commencé à enseigner aux plus petits.

C’était ça l’esprit : les plus grands encadrent les plus petits. La bibliothèque c’était comme un melting pot. On y trouvait de tout là-bas. Si tu as un problème en histoire géographie, en sciences, il y a un professeur ou un étudiant qui est là pour t’aider. Dans n’importe quelle matière, il y a quelqu’un pour aider. En sciences physiques, on te dit va voir monsieur Diouf. Il y avait aussi la fondation Nicolas Hulot de Yoff, on s’est beaucoup investis sur les questions d’environnement avec Mamadou Samba. On s’appelait les "abeilles de Yoff". C’est là qu’on apprenait à prendre soin de l’environnement. On organisait des séances de nettoyage de tout le village, quartier par quartier, de la plage, des séances de reboisement dans les écoles, on mettait des poubelles dans les rues pour que les gens ne jettent plus rien par terre. Ensemble on est allé visiter la réserve de Popenguine avec Madame Thiaw, qui est passée à la télévision française. L’ile de Yoff a été classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Récemment je suis allée au Burkina pour un séminaire sur l’environnement dans une autre école américaine.
Il y avait aussi le journal Pençyum Yoff, qui relayait tout ce qui se passait dans le village. On écrivait beaucoup de reportages.

Monsieur Alassane Faye exigeait de voir nos bulletins pour vérifier que nous avions bien travaillé. Il ne voulait pas être blâmé. Il ne voulait pas qu’à cause de notre travail en bibliothèque, nos résultats baissent à l’école.

A la bibliothèque on abordait aussi les techniques de dissertation, les commentaires de texte. C’était la bibliothèque qui englobait tout. Je me rappelle que quand j’étais en classe de terminale, j’avais un commentaire à faire sur la guerre froide. Je suis allée le voir et je lui ai dit "j’ai un commentaire à faire, il faut que tu m’aides". J’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque, j’ai révisé, révisé. On a fait le devoir en classe. Lorsque le prof a rendu les devoirs, il a appelé tous les élèves les uns après les autres, sauf moi. J’étais stressée, je l’avais tellement bien préparé. A la fin, il m’appelle, je me lève, il me tend ma copie et dit « 18 sur 20. Je te donne 18 parce que je ne peux pas te donner 20, je ne sais pas quoi dire, ton commentaire est tellement bien fait » C’était un ouf de soulagement !

On était vraiment bien encadré, et ça c’est dans toutes les matières. Quand je devais faire par exemple un devoir en sciences, il y avait un étudiant en sciences en 5° année à l’UCAD. J’étais à l’époque en classe au Complexe Seydou Nourou Tall, proche de l’université. Je l’appelais pour qu’il m’aide, soit à l’UCAD, soit à la bibliothèque. C’était la belle époque !

Mon frère travaillait aux états Unis, il a envoyé trois de ces enfants ici, au Sénégal, dans la famille. Ils ont été inscrits à l’IQRA. J’étais leur tutrice, je venais aux réunions, m’occupais de régler les frais de scolarité. J’avais créé une entreprise individuelle qui s’appelait AFRIC EDUC. L’éducation est tellement importante, j’en ai bénéficié, et j’avais comme un devoir moral de faire quelque chose pour l’éducation. Par la suite, comme vous le savez, j’ai été recrutée comme bibliothécaire à l’IQRA grâce à la formation reçue à la BOSY. Je coordonne une équipe de 4 bibliothécaires.